Prévention

"800 000 tapis de souris pour les CM2"

Encore un effet d'annonce à l'occasion
de la journée internationale des enfants disparus ?


Le 18 mai 2005, le Ministère de l'Education Nationale a annoncé le lancement d'une action destinée à tous les élèves de CM2. Intitulée "Sur la Toile, méfie-toi des pièges !". Elle comprendra notamment la distribution, le 25 mai prochain, de 800 000 tapis de souris - un par élève - mettant en avant les "dix commandements de l´internaute prudent". On pourrait discuter du choix de ce slogan censé inviter nos écoliers à la prudence ! On s'interrogera plutôt sur l'efficacité d'une telle initiative, si elle ne devait pas trouver son prolongement dans un véritable travail d'explication sur la durée et de sensibilisation des enfants et de leurs éducateurs.

Car en la matière la tâche est immense, tant les risques se sont développés ces dernières années et face à la méconnaissance qu'ont beaucoup de parents des pratiques du Net et de leurs évolutions. D'après Interpol par exemple, 500 000 images pédopornographiques circuleraient en permanence sur Internet, et 17% des jeunes de 11 à 17 ans auraient déjà été confrontés à des contenus violents et/ou pornographiques. Par ailleurs, une étude Américaine réalisée en 2001 montrait déjà que 19% des adolescents avaient été sollicités sexuellement au moins une fois sur le Net. Alors que l´usage d´Internet par les enfants et adolescents explose, à la maison ou à l´école (selon la Sofres, 87% des jeunes de 11 à 17 ans se déclarent familiers avec l'utilisation d'Internet), beaucoup de leurs ainés en sont encore à se familiariser avec la pratique d'un simple traitement de texte et ignorent la plupart du temps tout de ce qui se cache réellement derrière des mots comme "chat"[1], "blog" [2] ou "wiki"[3]. Par ailleurs, dans un rapport remis mardi 17 mai au Ministre de la Santé, de la Solidarité et de la Famille, il est souligné que les risques liés à l'utilisation d'Internet touchent désormais les enfants de 7 à 8 ans, c'est-à-dire dès les classes de CE1 et CE2.

On peut se féliciter de cette première action d'envergure au plan national. Elle ne devra pas se limiter à un simple effet d'annonce et devra être suivie par la mise en oeuvre d'une véritable politique de prévention et d'accompagnement sur le long terme. Il s'agit en effet d'aller beaucoup plus loin que les simples recommandations, dans la mesure où l'usage de ces outils va devenir incontournable. En effet, ils s'imposent de plus en plus comme le support de nouvelles pratiques sociales. Anne Kohen-Kiel, anthroplogue, est par exemple convaincue que les jeunes apprennent aujourd'hui à se socialiser à travers la technologie : "...La génération des 15-25 ans est la première à être née avec le clavier dans une main et avec le portable dans l'autre. C'est leur oxygène.... La communication virtuelle est idéale pour les adolescents car elle permet de prendre le temps de s'exprimer. Ce n'est pas un face à face, effrayant, difficile ou embarassant, particulièrement pour les timides. Un véritable échange se crée et c'est, d'ailleurs, ce partage de l'expression de soi qui rend la communication online si puissante pour les adolescents. Cela leur permet de tester plusieurs rôles et personnalités à un âge où l'on se cherche et où on a du mal à être bien dans sa peau...".

On ne doit pas oublier que l'enfant et tout particulièrement l'adolescent, être en construction par excellence, est nécessairement amené à tenter de nouvelles expériences. Rien ne garantit qu'il lui sera facile, dans ce contexte si particulier du contact virtuel où il se croit protégé à tort par un anonymat tout relatif, de prendre conscience des limites à ne pas franchir pour éviter les situations à risque. Combien sont-ils à avoir dialogué avec des "amis" inconnus, échangé leurs passions, partagé leurs émotions, sans imaginer une seconde que "la copine de 15 ans qui aime se peigner comme Brytney Spears dans son dernier clip" n'est autre qu'un prédateur qui cherchera à obtenir des informations personnelles à la moindre baisse de vigilence, après un long travail de mise en confiance ?

Que dire d'autre part de certains logiciels qui prétendent protéger nos chérubins en leur empêchant de saisir une liste de mots consédérés comme hautement confidentiels (Nom, Adresse, N° de téléphone, Age, etc...) et qui se contentent souvent de stocker le dictionnaire correspondant dans une arborescence enfouie du disque dur d'un ordinateur. On peut légitimement s'interroger devant tant d'angélisme, quand on connaît l'agilité et la puissance des nouveaux "Chevaux de Troie" tels que les "SpyWares" et la facilité avec laquelle ils sont capables de pénétrer au sein d'un système pour en récupérer les données les mieux protégées.

Toute politique de prévention qui entend réussir doit donc s'appuyer sur un ensemble d'acteurs aux compétences multiples (technologues, enseignants et éducateurs, sociologues, psychologues, juristes, police, milieu associatif...), organisés en véritables réseaux de vigilence. Elle passe notamment par une action forte en direction des enfants mais aussi des parents qui doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle d'éducateur dans un domaine qui semble pour l'instant les avoir plutôt dépassés tant du point de vue des pratiques que des risques qui les accompagnent. De nombreuses initiatives ont vu le jour dans ce sens, parfois depuis plusieurs années, dans certains pays Européens comme la Belgique, le Royaume Uni ou encore la Suisse. La France semble elle aussi prendre conscience du problème et plusieurs campagnes ou mesures de sensibilisation sont en train de se mettre en place, dont celle qui sera lancée le 25 mai prochain. Mais une telle ambition nécessitera des moyens financiers et de coordination importants qui supposent un engagement sur le long terme de la part des pouvoirs publics.

Vous pouvez aller plus loin en visitant les quelques sites qui sont référencés ci-dessous. Ces sites proposent des études et des pistes de réflexion sur l'ensemble des risques inhérents à l'usage d'Internet et apportent des conseils à tous, enfants, adolescents, parents ou éducateurs pour mieux les appréhender et apprendre à mieux y faire face.

N'hésitez pas à nous faire part de vos propres suggestions en nous faisant parvenir des documents ou des adresses de sites qui vous paraissent intéressants et utiles par l'intermédiaire du mail de l'association : public@association-estelle.org

[1] Chat : c'est un mode de conversation instantané entre plusieurs internautes. Vous pouvez le faire soit sur certains sites Internet où à l'aide de logiciels spécialisés comme ICQ ou Messenger.
[2] Blog : sorte de journal intime accessible à tous les internautes. Le rédacteur est appelé weblogger ou blogger . On dit aussi weblog. (pour aller plus loin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Weblog)
[3] Wiki : désignait initialement la base de données minimale permettant à des internautes de mettre à jour le site qu’ils visitaient. Désigne dorénavant les sites collaboratifs (mis à jour directement par les internautes utilisateurs). On parle de "Open Editing" en référence à Open Source (du contenu éditorial ouvert). Le premier wiki est apparu en 1995. Le terme wiki provient de l’hawaïen wiki wiki, qui signifie vite. (pour aller plus loin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wiki)